Le Phénomène de Construction et de Destruction dans 'Le Songe de Du Bellay'

Introduction. But et méthode (p. 3)

Plus de quatre siècles se sont écoulés depuis la mort de Joachim Du Bellay (1560) mais sa poésie continue à occuper les critiques. L`abondance de ses thèmes, l`originalité de ses idées, et la richesse de son style attirent toujours l`admiration de ceux qui apprécient sa poésie, notamment Les Regrets, et Les Antiquitez de Rome.

Cependant, un recueil de quinze sonnets à la fin des Antiquitez. intitulé Songe. intrigue les lecteurs, il se présente comme une vision apocalyptique ornée de descriptions fantasques, ésotériques à première vue.

Songe s`impose comme une allégorie qui offre aux critiques différentes interprétations biographiques aussi bien qu`historiques. Le langage de cette séquence est hermétique, difficile à décoder. Ces sonnets, qui dévient par rapport à l`ensemble des oeuvres de Du Bellay, ont provoqué une controverse entre des critiques célèbres.

Pour les uns, c`est une fantaisie ésotérique, pour les autres c`est une oeuvre trop artificielle pour être examinée en détail.

Ainsi, M. A. Screech, un des éditeurs du Songe, admet dans ses notes relatives au deuxième sonnet:

II est à supposer que les détails de la

description des édifices dans les sonnets-stances

du Songe, correspondent à une signification plus

ou moins ésotérique. Avouons n`y comprendre rien

ou très peu.

Il renvoie le lecteur aux "Commentaires sur les Antiquités de Rome" article publié par V.-L. Saulnier. Cet article, en effet, offre beaucoup de remarques sur les Antiquitez de Rome, mais pas assez sur Songe. Joseph Vianey dans son livre Le Pétrarquisme en France, pense que cette séquence ne vaut pas la peine d`être examinée en détail car "elle est trop artificielle pour qu`il y ait le moindre intérêt à rechercher où Du Bellay en a emprunté les éléments" (Vianey Le Pétrarquisme en France 308).

Henri Chamard, dans sa thèse énorme sur Du Bellay, ne consacre que quelques pages à Songe :"C`est une vision apocalyptique, pittoresque et brillante, mais d`un brillant trop artificiel" (Chamard Joachim Du Bellay 297). Clark Keating, dans son livre Joachim Du Bellay, avoue que les commentateurs ont beaucoup de difficultés à comprendre cette vision imaginaire car, après tout, Songe n`est qu`un mystère hermétique.

Gilbert Gadoffre est aussi de cet avis: "La séquence du Songe, qui fait suite aux Antiquitez de Rome, est un des textes les plus obscurs du répertoire français" (Gadoffre Du Bellay et le Sacré 151). Mais il ajoute que ce n`est qu`une obscurité voulue: "Elle ne peut se réduire aux métonymies ou aux images porteuses d`énigmes qui sous une chose en font soupçonner une autre, elle découle d`une attitude à l`égard de la communication chère aux hommes de la Renaissance." Cette attitude, qui consiste à utiliser l`allégorie, courante chez les poètes de la Pléiade, est à la base de cette séquence.

Michael Riffaterre examine Songe sous une perspective différente. Dans un article consacré au septième sonnet, il affirme que: "Le Songe impose au lecteur un exercice de révélation, en lui faisant parcourir symboliquement une démarche initiatrice" (Riffaterre, "Le tissu du texte, Du Bellay Songe VII" 192).